J'ai découvert une conférence très inspirante d'Emmanuel Faber, Directeur général de Danone, à l'occasion de la cérémonie de remise de diplômes d'HEC. https://www.youtube.com/watch?v=x4rj4MfNkys
La sincérité, l'émotion et le sens profond de son discours touchent pleinement ce pourquoi je me lève tous les matins, ce pour quoi je me bats au quotidien, ce pourquoi j'aime tant l'humain. Je vous livre ici quelques réflexions.
UN MONDE CHERCHANT A TOUT COMPRENDRE MARCHE SUR LA TETE
Emmanuel Faber partage avec son public une page de son histoire intime, celle de son frère schizophrène parti trop tôt et qui lui a appris le sens profond de la vie. En côtoyant la folie de son frère, il a découvert la beauté du non-raisonnable et de l'altérité. Si "la normalité enferme beaucoup", la folie pourrait nous délivrer de la raison pure pour nous permettre d'accéder à une réalité augmentée. Notre monde n'est-il pas devenu fou à vouloir tout raisonner ? Ce qui vit, ce qui vibre, ce qui pulse n'échappe-t-il pas fondamentalement à toute forme d'entendement, de saisie intellectuelle, de reporting financier & comptable ?
Le comble d'une société cartésienne comme la nôtre est qu'à force de chercher à tout raisonner nous en perdons la Raison supérieure. La recherche d'ultra performance des organisations et des individus devient une aberration plus folle encore que la folie elle-même. Car la Raison supérieure exige la réconciliation de la raison humaine et du dé-raisonnable de la vie - au sens où la vie même échappe à la raison. En tout système vivant se meuvent logique et analogique, causalité et corrélation, raisonnement et résonance, mécanique et quantique, mathématique et poésie, etc. Sommes-nous à ce point morts que nous en oublions cette sagesse de la Vie ?
L'ENJEU DE L'ECONOMIE, C'EST LA JUSTICE SOCIALE
Emmanuel Faber partage sa conviction que nous ne pourrons renouer avec la croissance qu'à condition de fabriquer une société plus juste. Considérons que nous formons tous ensemble un grand corps social dans lequel chaque cellule a son rôle à jouer. Ajoutons que dans le monde, en 2016, une personne sur neuf souffre de faim et de malnutrition. Et réfléchissons. Si les cellules de notre estomac sont cancéreuses, notre corps pourra-t-il se développer harmonieusement ?
Dans Le Prophète, le poète libanais Khalil Gibran loue l'importance de tout un chacun pour faire société : "Je vous ai souvent entendu répéter, comme si vous balbutiiez dans votre sommeil : "Celui qui travaille le marbre, et découvre la forme de son âme dans la pierre, est plus noble que celui qui travaille la terre. Et celui qui saisit l'arc-en-ciel et parvient à le coucher sur sa toile sous forme de portrait d'homme, est plus honorable que celui qui fabrique des sandales pour nos pieds". Mais je vous réponds, non pas dans mon sommeil mais au zénith de mon éveil, que le vent ne murmure pas au chêne géant des mots plus caressants que ceux qu'il adresse au plus frêle des brins d'herbe. La grandeur réside en celui qui transforme la voix du vent en une mélodie rendue plus suave par son propre amour."
LA RESPONSABILITE DE CHACUN : TROUVER SA VOIE(X) ET L'ACCORDER A LA PARTITION DU MONDE
"Lorsque vous travaillez, vous êtes une flûte au cœur de laquelle le murmure des heures se change en musique. Qui de vous se voudrait roseau, muet et silencieux, quand tout chante à l’unisson ?" Merci encore à toi, Khalil, mais concrètement, comment fait-on pour trouver et jouer sa propre musique dans la cacophonie actuelle ?
Emmanuel Faber enjoint les jeunes diplômés (et nous tous par extension) à devenir des leaders serviteurs pour mettre leur puissance personnelle au service du Bien commun. Dans cette quête, il s'agit de trouver une cause à embrasser, cause qui prend racine dans notre raison d'être, notre "purpose" en anglais. ("Find the purpose that will make you really become who you truly are, the best of you that you don't never know yourself." E. Faber). Par la métaphore de son frère intérieur, Emmanuel Faber nous propose d'aller rendre visite à notre part d'ombre intérieure, à nous confronter à cet espace intime qui échappe au visible, à accéder à l'être infini qui sommeille aux portes de notre conscience limitée.
Dans l'accès à notre être profond surgit une musique intérieure avec un rythme, un style et une tonalité propres, "une mélodie unique qui peut changer la symphonie autour de soi, peu importe que sa portée soit infime ou grande" ("Find your unique melody that will change the world around you, big or small" E. Faber). C'est en contactant ce qui fait notre unicité que nous trouvons notre vocation - ou notre voie. Nous pouvons alors offrir au monde le meilleur de nous-même et vivre une vie pleine de sens.
CONCLUSION : L'EKLOSION DE CHACUN DANS LE RESPECT DE TOUS
Dans un monde incertain et pourtant plein de certitudes, Emmanuel Faber nous partage sa sagesse. Il nous rappelle l'importance d'accepter les choses telles qu'elles sont, que nous les comprenions ou non ; il nous invite à respecter l'autre dans sa singularité et sa vulnérabilité et à le considérer comme musicien à part entière de notre grand orchestre terrestre ; enfin, il lance un appel à l'exploration intérieure pour trouver notre propre mélodie à offrir au monde.
J'ai la chance d'avoir ressenti il y a quelques années cet appel intérieur qui a résulté en la création de l'association Eklore. Notre mission est d'aider chacun à faire éclore ses talents pour trouver sa juste place au travail et plus largement dans le monde. Notre signature, "travailler en accord", participe du même état d'esprit partagé par E. Faber : se connecter à son intériorité pour faire coïncider nos notes avec la portée que constitue le monde. Notre société n'est pas tant une pyramide à colmater, dominée par quelques érudits sortis du conservatoire, qu'une symphonie à orchestrer, vibrant aux sons de chaque musicien. "Maestro, musica !"
Cet article a été écrit et publié le 29 juin 2016 sur le profil Linkedin de Solenn Thomas. Il est toujours d'actualité...